On a voulu faire de notre monde quelque chose qui ne lui
était plus propre. La mondialisation et les algorithmes dirigeant une
population humaine surabondante ne possédant que des droits dans un marché
global limité par notre terre elle-même. Bref, une société sans sol où le nulle
part serait la valeur cardinale, reléguant notre localité au rang de curiosité
muséologique. On avait pensé le monde ainsi malléable, assujetti, maîtrisé,
prêt à conquérir la Lune et Mars, demain matin, pour échapper à toute
contingence humaine. Il y avait là un énorme mépris pour ce que nous
sommes et d'où nous venons. La vague du hors-sol, ne laisserait qu'aux grandes
villes le sort enviable de jouer la modernité. Et voilà que brusquement surgit
la résistance et que se propagent des rêves éveillés pour d'autres vies et
d'autres mœurs loin de la start-up nation et ses costumes gris et ses jupes
noires, parlant un anglais qui aurait fait frémir Shakespeare et propageant des
bavardages dont se nourrit le temps perdu.
On avait royalement oublié, en se gaussant des
péquenots fumant des Gauloises et pétaradant leurs carrioles au gazole, que
pour faire régner cette vision apocalyptique, il fallait que ceux qui achètent
et ceux qui vendent ne se rencontrassent jamais. Peu importait que la
nourriture vienne d'une usine sans nom et fût achetée par des peuples sans
visage. Qu'est-ce qu'une civilisation ? Dans ce tourbillon notre culture
ne comptait plus. On demandait aux gens de l'oublier au profit d'une généralité
planétaire. L'important était de vendre. Même s'il fallait pour cela acheter
des centaines d'hectares et y développer l'agriculture biologique intensive, on
le ferait. Avec de l'argent, bien sûr, on peut tout faire. Mais voilà. Heureusement qu'il y a des mais et des voilà. Cette
conjonction de coordination mais et
cette préposition voilà, n'avaient-elles
pas déjà cassé les idéologies destructrices qui au siècle dernier ont laissé
les idées les plus hautes ou les plus abjectes massacrer les humains ? Ceux
qui pensent détenir la vérité du bonheur des hommes, sont heureusement les
victimes de ce minuscule détail sémantique, mais
et voilà.
Alors quel est ce mais ?
Une génération issue des années quatre-vingts et quatre-vingt-dix du siècle
d'avant, se dit prête à redistribuer les cartes un peu partout, renforçant les
rangs de leurs aînés qui avant eux déjà avaient dit non.
De droite à gauche : Sabrina, Manu, Benjamin.
C'est le cas de Sabrina Lelarge et d'Emmanuel Lebrun qui vendent leurs légumes biologiques au marché d'Henrichemont.
Oui, vous les avez déjà vus, Sabrina, le geste élégant et
ses manières accortes et Manu vous fixant sans affront avec ses yeux bleus. Eh
bien sachez-le, on ne les avait pas destinés au travail du maraîchage. Sabrina
était engagée dans l'aide médico-sociale ; elle avait rapidement trouvé
que la thérapie par le jardinage valait bien souvent toute médication. Manu,
lui, était technicien supérieur des ressources en eau. Se laissant guider par
son penchant pour les plantes et la terre, il fit un une formation de maraîchage
au centre de formation professionnelle et de promotion agricole (CFPPA de
Bourges). Il effectua son stage d'application au Jardin des Têtiaux (toute
bonne ruche se renforce par ses essaimages). Là une nouvelle stagiaire arrive,
Sabrina et Manu se rencontrent et décident de créer une entreprise individuelle,
le Jardin des Cœurs Nichant en mars 2021, 1 300 m2 en plein
champ et 200 m2 de serres (un tunnel et une pépinière) sur une terre
sableuse et argileuse, ancienne pâture, du plateau de Thou en Pays Fort,
connu par ailleurs pour ses cultures céréalières.
Madame le maire de Thou, Océane Bignon, a su les accueillir
en soutenant leur projet, comme l'a fait la communauté paysanne des alentours, notamment
un producteur de lait en conversion bio et un voisin cultivateur à la retraite.
Le label AB distingue leur production.
Trois roulottes dételées au bout du terrain attendent dans
les hautes herbes le retour d'une communauté d'artistes parisiens. Un projet de
bar restaurant associatif est mis sur la table. Des Amapiens du Pays Fort de
Sury-es-Bois apportent leur aide bénévole et l'AMAP leur a ouvert ses paniers,
notre Coop et le marché d'Henrichemont sont clients ainsi que le restaurant la Récréation gourmande de Villegenon.
Voilà donc Sabrina et Manu, assistés par Benjamin, aidant le
premier printemps de leur affaire. Ils savent que toute chose se construit dans
la proximité, celle des gens qui achètent leurs produits, comme celle du
tissu social de ce beau Pays Fort si longtemps malmené par l'exode de ses
habitants. Ils ont appris à suivre le calendrier lunaire de plantation de Maria
Thun, disciple fervente de Rudolf Steiner, le père de l'agriculture
biodynamique.
Pour le moment il faut faire front à la tâche. La terre est
exigeante. Et parfois ingrate. Au fil des jours se dessine le projet de pouvoir
fournir des légumes d'hiver, courges, carottes, pommes de terre. Mais voilà,
nous sommes au printemps. Le reste importe peu, regardons avec Sabrina et Manu la
souveraine force de la nature déployer son renouvellement. Même les dieux, qui
en hiver se font oublier, regarnissent les cieux. Tandis que là-bas, tout au
loin, l'impossible soleil noir du monde égaré, paniqué par ses virus et affolé
par l'impuissance de ses discours, se cherche un avenir qui se trouve ici. On
le lui dit incessamment, mais voilà.
Le Jardin des Cœurs Nichant
Maraîcher producteur de légumes et plants (PPAM et légumes) en AB
Route de Subligny 18260 THOU
Contacts :
Manu ☏
06 84 17 70 40. ✉︎ manu.lebrun@laposte.net
Suivi FaceBook @thou18260
Tous les mercredis matin sur le marché d'Henrichemont.
Guy Haasser
Mai 2021